Échouée au bar.. | Krazy Karl

Le combat avait été long, éprouvant, plutôt difficile. Mais Tamara, alias Shockwave dans l’arène du Deadly Struggle, en était ressortie victorieuse. L’autre combattant, un homme d’au moins six ou sept ans plus vieux qu’elle se tenait au sol, crachant du sang par la bouche, saignant du nez, la rage au ventre. Il aurait pu gagner, il en avait été à deux doigts à plusieurs reprises mais c’était ce foutu bouclier qui l’en avait empêché. De son côté, Tamara tenait debout, à peine. Elle écoutait les rats d’égouts scander son nom de scène mais n’en avait que faire. Elle, ce qui l’intéressait, c’était d’avoir gagné. Une victoire de plus à son actif, la jeune femme était loin d’être sur un score parfait, elle avait plus d’une fois mordue la poussière, mais pas là.

Elle haletait, un sourire délirant, les yeux injectés de sang, le visage tout entier en sueur, grimaçant à moitié de douleur à cause des coups reçus. Sa main valide était crispée sur sa batte de baseball. D’un geste vif elle la fit tourner entre ses doigts avant de la faire atterrir sur l’avant de son bouclier transparent criblé d’impacts rattaché à son avant-bras droit sous forme de prothèse. Elle hurla pour évacuer la douleur et la rage accumulée sans qu’elle ne la quitte jamais vraiment. Fixant le plafond, la foule autour d’elle se déchaîna alors d’avantage.

- GET ON MY LEVEL. SUCKER. beugla-t-elle en reposant ses yeux sur le vaincu.

Elle fit ensuite volte-face, s’enfonçant vers ce qui servait de vestiaires au Deadly Struggle, pour les combattants. Quelques personnes, des employés, cherchèrent à s’informer de son état physique mais elle les envoya tous balader d’un simple regard encore assoiffé de sang agrémenté d’un “ FUCK OFF !“ tonitruant. Son dos lui faisait mal, son poignet gauche, ses jambes. Son adversaire avait tenté de pallier sa défense du bouclier en lui attaquant les genoux à maintes reprises, elle avait sous son bonnet une sale bosse, elle la sentait. La douleur était stridente. Plutôt que d’aller voir l’infirmière, une fois de plus, Tamara décida de prendre le chemin de l’Underground le plus rapidement possible. Elle retira laborieusement les nombreuses sangles de son bouclier antiémeute pour le laisser dans son casier aux côtés de l’embout de la hache de Anita, se changeant ensuite rapidement. Enfilant un débardeur noir et une veste en jean délavée, elle ne changea cependant pas de pantalon, gardant son slim gris foncé et ses chaussures noires. Avant de refermer la porte du casier, la combattante attrapa sa petite sacoche contenant toutes ses capsules.

Sans attendre, la rousse marcha dans le dédale de métro, croisant quelques personnes sur la route sans leur adresser la parole, jusqu’à rejoindre le bar de l’Underground. Un endroit avec lequel elle avait commencé à devenir familière. Elle s’installa au comptoir, le visage comme figé sur une expression de colère.

- Le Vodka pour moi. lâcha-t-elle das un français approximatif au barman, articulant à peine.

L’homme ne tarda pas à la servir, et Tamara ne tarda pas non plus à tremper ses lèvres dans le liquide, ignorant les nombreux endroits de son corps qui la faisaient amèrement souffrir pour le moment. Déjà bien contente d’être enfin assise.

Alors qu’elle venait tout juste de prendre une seconde gorgée de son verre, déjà presque vide, un drôle de spécimen vint s’installer proche d’elle. Tamara lui adressa un regard bref, le toisant plus qu’autre chose. Il avait une bonne tête à claque, mais la dernière fois qu’elle s’était battue ça ne lui avait valu que des emmerdes, et Deck ne serait pas toujours là pour la sortir de la merde. En plus, les gardes l’avaient à l’oeil depuis cet incident. Alors elle laissa couler. Tant qu’il ne l’emmerdait pas, après tout.. Elle observa d’un oeil agacé ce jeune homme boire une mixture venant tout droit des enfers et en payer le prix. Il devait lui manquer une case, ce n’était pas le premier du genre que Shockwave croisait. Elle laissa couler.

Seulement.. Quelques secondes plus tard, après qu’il eu reçu son verre d’eau, Tamara se sentit comme.. Observée. Salement observée. Elle fronça durement les sourcils et tourna la tête. L’autre débile était en train de la mater ou quoi ? C’est ce qu’elle se demandait. Elle ne supportait pas qu’un type la regarde comme ça, que ce soit à cause de ses nombreuses blessures sur le corps, les récentes du jour, les anciennes et très nombreuses morsures sur ses bras et avant-bras, les coups de griffes, les bleus.. Ou qu’on ne la regarde parce qu’elle était.. Eh bien, une femme. Elle ne supportait pas qu’on la mate avec insistance comme ça. Elle pivota à demi vers ce mioche qui jouait avec le feu. C’est là qu’il se mit à parler.

Là. Elle n’avait plus qu’une seule envie, lui exploser la gueule. Mais elle ne pouvait malheureusement pas se le permettre. Seulement, l’impulsivité de la rousse prit tout de même le dessus. Elle l’attrapa de sa seule main par le col pour le rapprocher brusquement d’elle, leurs visages presque collés l’un à l’autre. L’expression implacable sur le visage.

- Me parler pas. Ou je tue. Connard. Je tue gens, et zombies. Je tue tout. Compris ? elle le menaçait presque, mais ne relâcherait sa poigne que lorsqu’il aurait répondu.

Ce gamin était une sacrée blague que Tamara ne trouvait pas drôle du tout. Elle pensait pourtant avoir été claire, et elle refusait de se répéter.. Enfin, généralement. Dès qu’elle eu terminé d’essayer de remettre ce crétin à sa place, ce dernier ne se fit pas prier pour lui répondre. Et débiter des conneries.. Encore, et encore, et encore. Dans un premier temps Tamara écouta, franchement, reculant son visage, observant son “ interlocuteur “ avec des yeux ouverts grands comme des soucoupes. Quelque chose n’allait vraisemblablement pas chez lui, pour qu’il continue à la ramener comme ça. Ce n’était pas possible autrement. Elle ne comprenait même pas tout ce qu’il disait, n’étant pas certaine que même un français puisse tout assimiler et comprendre.

Elle comprit cependant qu’il avait parlé de l’amener quelque part. De l’emmener, elle, avec lui.. Quelque part. Ensemble. Pour tuer ? Des zombies ? Autant l’idée de tuer était bonne, autant elle ne pourrait pas supporter d’être avec un tel énergumène comme lui. Jamais de la vie. Tamara n’en pouvait plus.

- Fucking enough of this.. balbutia-t-elle avec le même regard hébétée que précédemment face à son comportement proche du suicidaire.

Très vite, sa seule solution pour faire taire ce brave garçon fut de relâcher brièvement sa prise sur son col pour récupérer sa seule main valide, serrer le poing et lui asséner un coup rapide, discret, mais très percutant en plein dans le ventre pour qu’il se taise finalement. Elle espérait qu’au moins ça, puisse le ramener sur la terre ferme.. Sauf que..

Il en redemandait ? Sincèrement ? Elle avait d’abord pensé que non, il avait commandé un verre d’eau, passe encore. Et elle s’était vite retournée à son verre qu’elle s’apprêtait à boire, à terminer, quand la voix du jeune homme la bloqua complètement. Putain. Il lui parlait encore. Et lui proposait encore de massacrer des goules avec lui. Elle inspira un coup, cherchant en elle la force de ne pas lui éclater le visage dans le comptoir et risquer ainsi la détention.

- Je sors pas avec un merde sans intérêt comme toi. Je sors avec personne. Je parler à personne. Foutre moi la paix.

Elle sentait qu’il allait en remettre une couche, que ce mec là avait dû se prendre un méchant coup sur la tête et qu’il avait perdu quelques facultés mentales. Il voulait peut-être aussi crever et là, il était en train de frapper à la bonne porte. Mais avant que ce jeune homme ne puisse l’ouvrir une nouvelle fois un autre type vint capter l’attention de la rousse. Une armoire à glace, balèze. Le genre de type que Tamara elle-même ne faisait pas chier sans une bonne raison ou avant d’y avoir réfléchi à deux fois. Musclor semblait avoir un problème avec le jeune importun et ça n’était pas pour étonner la fille. Alors qu’il s’était fait attraper par le grand homme, le nuisible prit quand-même le temps de s’adresser à Tamara. Elle soupira simplement, faisant un vague signe de main. Elle espérait qu’il ne revienne pas, et se concentra sur son verre.. Seulement pour remarquer qu’il était vide, depuis le temps.

- Other drink ! dit-elle à l’attention du serveur.

Quelques instants passèrent sans que la rousse blessée ne s’occupe de ce qui se passait derrière elle, quand un grand fracas l’interpella, prête à réagir au quart de tour et à se joindre à la première baston de bar sauvage venue, elle remarqua qu’il s’agissait en réalité du garçon venant d’exploser une chaise sur la tête de l’homme qui l’avait attrapé. Personne ne réagissait, dommage. Elle avait bien envie de prendre part à une bagarre, malgré son état déplorable. Deux secondes plus tard, une table valdinguait et c’est deux couteaux sortis que le plus jeune fit fuir le baraqué. Tamara serra les dents en le voyant revenir vers elle.

Ce type était un véritable numéro. Au moment de s’asseoir sur le tabouret, ce dernier céda sous son poids et il était désormais en train de se tenir dans le vide en mimant d’être assis. Le regard de la guerrière était consterné. Elle aurait mieux fait d’aller voir l’infirmière, finalement. Cependant.. Elle reconnaissait quand-même qu’il avait du cran, et un minimum de savoir faire en situation de crise. En tout cas dans sa prise de parole le jeune homme avait raison sur un point.. Elle se retenait, depuis tout à l’heure. Son combat gagné contre l’autre combattant du Deadly Struggle l’avait laissée sur sa faim, et ses blessures la faisaient enrager à un tel point qu’elle voulait tout défoncer. Seulement à la Citadelle c’était impossible.. La garde avait déjà failli intervenir pour ce pseudo combat qui venait d’avoir lieu.. Elle ne voulait pas faire ce plaisir à ce mec mais.. Blessée, elle savait que si elle sortait comme ça, seule, elle se mettait en danger. Avec ce.. Débile fini, elle serait aussi en danger mais avec quelqu’un pour l’assister si jamais ça se passait mal.

Elle ne lui admettrait jamais que c’était la vraie raison, mais Tamara poussa un long soupir avant de boire son verre d’une traite, ce qui lui arracha une légère grimace.

- Putain. Ok. Tant que tu me foutre la paix après. J’allais partir de toute façon. Hm. Juste le temps de attraper affaires à casier.

La rousse se releva en laissant une poignée de capsules sur le comptoir, grommelant doucement à cause de la douleur à ses côtes. Il lui fallait juste passer par son casier du Deadly pour se munir de la partie offensive de sa prothèse. La hache de sa défunte soeur. Ensuite, elle pourrait sortir. Pourvu que l’autre sois moins bavard dehors.  

C’est en boitillant presque qu’elle rejoignait son casier du Deadly Struggle, là où elle se préparait avant ses combats et où ses deux prothèses étaient rangées. La douleur à ses côtes se faisait de plus en plus cinglante au fur et à mesure qu’elle avançait mais cela ne risquait pas de la décourager. Il lui fallait évacuer la pression accumulée, même si c’était aux côtés d’un imbécile fini qui ne voulait pas la fermer. Tamara y était presque, il ne lui restait plus que quelques couloirs de service à arpenter, quelques portes de fortune à passer pour rejoindre son but. Sauf que, soudainement une silhouette fit son apparition, quittant la zone de l’arène. Oh c’était loin d’être une combattante, Tamara la connaissait, elle se raidit presque en la voyant, s’arrêtant de marcher.  

- Shio.. Zaki ? The hell you doing here ? Demanda Tamara sur un ton étonnamment calme.

Shiozaki LaRue. L’infirmière de la Citadelle, peut-être la seule personne à s’intéresser à Tamara dans ce trou, et sans aucun doute la seule et unique personne que Tamara respectait vraiment ici bas. L’infirmière aux cheveux bleutés écarquilla grand les yeux en voyant la rousse.

- Oh mon dieu ! Je t’ai cherchée partout, I was worried ! Où étais-tu ?

Tamara grommela légèrement, mais cela ne l’empêcha pas de répondre non sans lâcher un petit soupir.

- Au bar. Là je sorte.

- Pardon ? rétorqua l’infirmière, interdite, Non non non. Il n’en est pas question. Regarde toi ! You can barely walk ! Tu vas venir à l’infirmerie il faut te soigner.

Les yeux de Shockwave roulèrent alors vers le bas plafond du dédale du métro.

- Ugh. No way in hell.

Shiozaki n’attendit pas de plus amples réactions de la part de Tamara, elle devait même certainement s’y attendre. L’infirmière s’avança vivement vers la guerrière qui n’eut pas le réflexe de se reculer assez rapidement et.. Elle lui tira l’oreille gauche après avoir à peine relevé le bonnet que Tamara portait. Elle chercha à reculer mais cela ne fit qu’empirer la douleur de cette réprimande.

- Argh fuck ! Fuck ! What the fuck ?! ‘Kay, okay, Je viens ! Let go off me ! Putain.

Elle se laissait alors entraîner par Shiozaki qui, au moment où Tamara avait enfin rendu les armes, lui avait lâché l’oreille. Elle avait alors posé sa main sur le haut de son dos pour la pousser doucement, la guider sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte mais surtout qu’elle puisse l’attraper dans le cas improbable où Tamara essayait de s’enfuir. De toute façon vu comme elle souffrait, elle ne pourrait pas courir, se disait-elle. Elle faisait peut-être la fière mais on ne pouvait pas la duper sur ce point, en sa qualité d’infirmière.

Tamara avançait sans sourciller mais elle pensait à ce garçon qu’elle ne reverrait pas, du coup. Boh, ce n’était pas si grave, elle n’avait pas envie de collaborer avec lui de toute manière. Et puis, Shiozaki n’était pas de si mauvaise compagnie.. Tamara aimait, même, passer du temps avec elle.

- Je t'ai déjà vue t'en sortir moins amochée, tu aurais pu faire un effort. Tu voulais me donner du travail, c'est ça ? plaisanta l'infirmière.

Tamara roula les yeux au plafond une fois encore.

- Just a scratch, je vais bien.