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 :: Paris :: Le parc de Vincennes :: Le château de Vincennes Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
Sarrah
Sarrah
Survivant
Mer 21 Mar - 0:03
Sarrah

ft. Massial Jordan

ft. Sarrah

「 Viens. 」



“Dans combien de temps arrivons-nous ? Ne pouvons-nous pas ralentir la cadence ? Mon pied me fait souffrir, il faut me soigner. “




Pour la énième fois depuis notre départ de la Citadelle, la veille, le commerçant ne cessait de geindre. Pour la énième fois, Annaëlle, derrière lui leva les yeux au ciel, signe d'une profonde exaspération. Moi-même, je n'en menais pas large : les miens lançaient des éclairs et tout mon être était tendu, prêt à exploser de rage. Encore une fois, je me retournais brutalement manquant de le percuter pour lui répondre le plus calmement possible que non. Notre allure resterait la même, que nous étions dans les temps, mais qu'il nous fallait arriver à notre destination avant que la nuit ne tombe. Une fois de plus, je lui explique que son pied allait bien et qu'il venait de découvrir ce qu'était une ampoule. Bordel. J'avais de plus en plus de mal à masquer mon mépris face à cette sous-merde et résister à mon envie de le planter dans le décor à la merci des infectés assez nombreux dans le secteur. Mais cela même, je ne pouvais le faire : il s'agissait du représentant officiel choisi par le Conseil de la Citadelle pour représenter ses intérêts face à nos futurs hôtes. Pour quelle raison avait-il été choisi ? Je ne saurais le dire vu l'étendu de ses “talents” sportifs, d'endurance et d'éloquence… Même son assistant, parce qu'il avait le luxe d'en avoir un, s'attachait à éviter par tous les moyens de croiser mon regard, gêné par le comportement de son patron.

Je soupirais bruyamment. Un traité commercial. Un putain de traité commercial. Voilà ce qui nous amenait. Voilà ce qui forçait ce lourdaud de commerçant de sortir à l'air libre pour la première fois depuis bien longtemps. À moins que ce rat n'ait jamais vue la surface… Vu son étonnement face à ce qu'était devenu Paris, face aux survivants que nous avions croisés et sa terreur des zombies qui étaient toujours là, on ne pouvait que se le demander. Peut-être avait-il été un des rares bienheureux à avoir la chance de se réfugier dans un bunker souterrain et ainsi éviter le sort de bons nombres d'entre nous et de nos proches… Cette pensée renforça un peu plus ma colère et mon envie de lui éclater la face. Bien entendu, j'aurais eu de gros ennuis. Cependant, il n'aurait probablement pas été une grosse perte ne servant qu'à amorcer le processus d'alliance entre les Humanistes et la Citadelle. Si le Conseil arrivait à un accord sur les termes, un vrai ponte ferait le voyage jusqu'au Château de Vincennes pour le signer. Pas avant. Un simple intermédiaire pouvait être remplacé non ? Un sourire carnassier apparut sur mes lèvres qui me donnait un air dangereux. Certains gardes me jetèrent des coups d'oeil inquiets, se demandant sans doute ce qui pouvait bien se passer dans ma tête et qui en était la cible. Ces derniers temps, je me mettais très vite en colère. Explosive. Viscérale. Violente autant pour moi-même que pour les autres. On m’évitait. Tout le monde m’évitait. Moi-même, je fuyais les contacts. Je dormais très peu, mangeait rarement. Ça ne cessait de s’empirer. Mes fantômes me poursuivaient. Inlassablement. Partout. Ici même, je ne cessais de tomber sur eux. De croiser leur regard. D’entendre leurs plaintes, leurs accusations, leurs suppliques. Je devenais folle. Complètement. Comme la dernière fois où ça m’était arrivé… Et je savais jusqu’où ça pouvait aller.

J’essayais par tous les moyens, de retarder cet avenir inévitable, mais mes efforts étaient vains. C'était la Citadelle. C’était mon poste. C’étaient toutes ces missions, tous ces morts, toutes ces atrocités. Insidieusement, bien que je pense être suffisamment forte pour tout endurer, toutes ces histoires m’ont touché, m’ont abîmé au fil du temps… Surtout celles de ces derniers temps. Toutes ces abominations… Jamais, dans ma vie, je n’avais été autant en contact avec ce qu’il y avait de pire chez l’homme. Toute cette perversion, cette folie… Honnêtement, il était impossible pour moi de m’en sortir indemne. Sauf, que je ne m’en suis aperçue bien trop tard. Comme d’habitude. Il fallait que je m’en aille. Définitivement. Que je disparaisse dans la nature. Avant que je ne me brise. Une nouvelle fois, comme lorsque j’avais fui mon ancienne vie. Ou après la mort d’Eric. Il fallait que je me tire sans trop éveiller les soupçons. J’en savais trop tout simplement. Sur les projets de Big Boss, le fonctionnement du Conseil, la sécurité de la Citadelle. Autant de données sensibles qui me rendaient dangereuse en cas de disparition. Ou de connaissance de mon projet…

Ce traitement est inadmissible ! Je suis un des plus grands commerçants de la Citadelle ! J’exige que l’on s’arrête et que l’on soigne mon pied ou que l’on me porte ! C’est moi qui commande ici et pas vous !

Ma vision voit rouge. Ni une ni deux, je me retourne, chope le lourdaud par le col de sa veste et vrille mes yeux dans les siens.

Assurez votre putain de sécurité, c’est mon rôle. Alors tant que vous ne serez pas arrivé chez les Humanistes, vous la fermerez !

Je le secoue comme un prunier et termine ma tirade en lui hurlant dessus. La troupe s’arrête. Malaise. Tous se dandinent.

Alors qu’il allait sans doute protester, je le secoue encore plus fort avant de le traîner face à un vieil infecté incapable de faire le moindre geste, amputé de la plupart de tous ses membres. Je rapproche dangereusement sa tête de la mâchoire de l’infecté qui ne cesse de claquer, essayant de le mordre.

Voici ce qu’est Paris. Ce qu’est le monde d’aujourd’hui sale petit connard pompeux. Sans moi et le reste de mon équipe, vous en seriez devenu un depuis bien longtemps. Alors vous allez vous taire jusqu’à ce que nous soyons revenu à la Citadelle. Vous allez faire votre job et je vais faire le mien. Compris ? “ Je le rapproche brusquement de l’infecté de telle sorte que son regard croise celui du mort debout et que son odeur lui saute à la gorge.

Sarrah.

Compris ? “ Hurlais-je.

Toujours plus proche, il suffirait d’encore un centimètre… Un centimètre et ce problème serait réglé. Il beugle, rut, mais je tiens bon y ressentant même un profond plaisir. Une profonde sensation de contentement.

J’ai-j’ai compris !

Une minute passe sans que je ne réagisse. Une minute pendant laquelle le temps semble s’écouler très lentement. Il suffirait d’un centimètre… Un centimètre et son artère serait tranchée par la bouche avide de sang de cet infecté. Un centimètre. Si peu. Mais si grand. Il suffirait… Je lutte contre moi-même. Quelle part des deux souhaitent quoi ? Je n’en sais rien. Je n’arrive pas à faire le distinguo. Je veux juste…

Bordel Sarrah, tu fous quoi !?

La main d'Annaëlle se pose sur moi et me recule de force.

Je pose les limites. Un problème ? “ Persiflais-je, un air mortifère sur mon visage.

Elle ne répond rien et en signe d’apaisement, lève les mains en l’air. Je jette plus que ne lâche le commerçant. Il reste recroquevillé au sol jusqu’à ce que son assistant vienne lui porter son aide. Quant à moi, je reprends la tête du convoi, croisant le regard de tous ceux qui me fixaient jusqu’à ce qu’ils glissent sur le sol.


“On a suffisamment perdu notre temps, en avant.” Sifflais-je.









“Au nom du Conseil, bienvenu au Château de Vincennes."




"Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous et espérons que votre voyage s'est déroulé sous les meilleurs hospices.“ Le ton de la femme aux cheveux blancs et aux yeux azur semble sincère.

Plein de bonté. À l’image même de ce que l’on peut se faire comme idée des Humanistes. Pourtant, ses traits restent figés et sa posture tendue, prudente ? Le commerçant me lance des regards nerveux qui m’horripilent. Quelle larve celui-là ! D'un sifflement, je le rappelle à l'ordre. C'est à lui de prendre les choses en main. Mon rôle s'achève ici même et ne reprendra qu'une fois que nous repartirons. Annaëlle prendra le relais à la fois pour le protéger entre les murs, mais aussi pour s'assurer que les négociations se passent bien. Une mesure de précaution prise par le Conseil, qui permettait également à Big Boss de tout savoir de ce traité en avant-première.

Le représentant de la Citadelle sursaute et avance d'un pas mal assuré vers le groupe des Humanistes. Il tente de prendre la parole, mais bredouille avant de se reprendre :

Je … Euh… Je… Nous vous remercions de votre accueil. Pardonnez ma- ma fatigue, cette longue marche, c'est révélée pleine de surprises.“ Bref coups d'œil vers moi avant de revenir sur ses interlocuteurs. “Je vous présente au nom du Conseil de la Citadelle, mes plus sincères salutations et espérons que ces modestes présents vous raviront. Gage de notre gratitude et de notre volonté à travailler main dans la main avec vous. “ Sans perdre de temps, son assistant se précipite vers la femme aux cheveux blancs et lui tend des deux mains, son visage tourné vers le sol, une grande boîte ouvragée contenant sans doute des denrées rares.

Je soupire discrètement, levant les yeux au ciel : ce que tout ce cérémonial peut être barbant… Pendant que les officiels des deux clans poursuivent leurs mondanités de rigueur, je m'attarde à dévisager les Humanistes. À côté de la petite femme nommée, Aimie Evans et chef spirituel de ce clan, se trouvaient plusieurs autres personnes. D'après les renseignements de Big Boss, chacune était responsable d'un secteur d'activité au sein du Château. Le grand et musclé brun aux multiples tatouages sur les bras devait être le chef de la sécurité ici : Ace Cunningham. Le reste se composait d'une certaine Marta, d'un Hector, mais ces secteurs-là étaient peu intéressants pour moi. Il y avait également une tête qui m'était bien connue : Massial Jordan. Le savoir responsable du secteur médical m'avait profondément surprise. La dernière fois que l'on s'était vu, il y a un ou deux ans déjà, il m'avait avoué ne pas savoir s'il comptait rester longtemps au sein de ce clan. Quelque chose avait dû se produire qui avait changé la donne. Profondément, sinon il ne se serait pas impliqué autant dans ce groupe. Plusieurs fois, nos regards se croisèrent. Je tachais de ne pas montrer le moindre signe de changement dans mon attitude. Ce n'était ni le moment ni le lieu. De plus, je sentais Annaëlle à mes côtés surveillant tout ce beau monde et je craignais qu'elle ne reconnaisse Massial. En effet, la dernière fois que Massial et moi avions été réunis par le plus grand des hasards, c'est Annaëlle qui avait signé la fin des retrouvailles.

À cette époque, nous étions à la poursuite d'un voleur dans les ruines de Paris. Une grande partie des forces de la Citadelle était de sortie ce jour-là et nous avions mission d'éradiquer toute présence humaine en ces lieux. Manque de chance, un groupe d'humanistes était également là et ils en ont fait les frais. Seul Massial et Calypso avaient pu s'en sortir notamment grâce à mon aide. J'aurais voulu que nos retrouvailles se fassent ailleurs. Qu'elles durent plus longtemps. Que l'on prenne même le temps d'échanger plus, de s'expliquer, de raconter ce qui nous était arrivé respectivement. Mais le destin en avait voulu autrement : ma coéquipière m'avait surprise avec eux et nous avions dû nous séparer brusquement. Étrangement, cette séparation m'avait fait souffrir. Avait ranimé un sentiment de perte…

Depuis lors, je me surprenais souvent à contempler l'horizon et à me demander comment ils allaient. À les chercher dans mes souvenirs. À me rappeler leurs visages, leur manière d'être, de se mouvoir. Pourtant, nous ne nous connaissions pas tant. Nous avions traversé ensemble Paris au moment de la chute de l'Ancien Monde et un lien s'était formé sans que je ne m'y attende. Il avait perduré. Comment ? Je n'en savais rien. Je ne cherchais pas non plus à approfondir la question. Ce lien existait. Il était là. Bien ancré de mon côté.

Son visage était aussi lisse d'émotion que le mien. Nous nous dévisagions. À la recherche de ce qui avait pu changer chez l'autre sans aucun doute. Il semblait en forme, un peu fatigué peut être, mais toujours aussi attentif à tout et sur ses gardes. Le voir parmi les décideurs de son clan m'amusait : il se tenait bien droit, le menton haut, jouant parfaitement de son rôle sans qu'il ait besoin de se forcer. Il devait mener la vie dure aux Humanistes de son service. Strict mais pas désobligeant, autoritaire mais compréhensif, froid mais accessible. Voilà ce que j'imaginais de lui au quotidien. Peut-être était ce vrai, peut être avais-je tort. Il avait une belle prestance qui imposait le respect. Il avait trouvé sa place et elle lui sied à merveille. Éric aurait été fier de lui.

Je devais avoir plus mauvaise allure : mes cernes bien visibles et mes joues creusées parlaient d'eux-mêmes… Mes muscles saillaient de mon corps émacié et durcissaient de plus belle l'image que je donnais. J'avais l'air d'un démon ou d'un spectre tant ma peau était livide et mes yeux bleus brillaient d'une lueur étrange et tourmentée. Il allait s'en inquiéter certainement. Se demander ce qui m'arrivait. Ce qui se tramait dans ma tête…

Mon prénom fut alors prononcé et mes yeux revinrent se poser sur le représentant de la Citadelle. Il me fixait par à-coups sans oser croiser mon regard. Nous en étions donc aux présentations… Par trop tôt. Je hochais de la tête en salut aux Humanistes face à nous. L'un d'eux, le responsable de la sécurité prit alors la parole :

Nous aurons certainement besoin de nous reparler pour nous coordonner afin d’éviter les accidents.

Annaëlle se chargera personnellement de la sécurité de Monsieur pendant les négociations. “ Commençais-je de but en blanc en désignant l'intéressée. “ Le reste de l'escorte restera en stand-by durant les négociations et les conciliabules dans les quartiers qui nous seront destinés. Nous y resterons et n’interférons pas dans votre quotidien. Soyez rassuré : il n'y aura pas “d'incident”.” Mon ton est venimeux, lourd de mesquinerie sur cette dernière phrase.

Le silence s'installe quelques secondes pendant lesquelles des rides d'anxiété se creusèrent sur les traits du négociateur, que le coude d’Annaëlle vint me titiller les côtes et que mon interlocuteur m’observa perplexe. Je soutiens le regard de ce dernier, restant de marbre. Autant que les choses soient claires de visue. J'évitais ainsi une conversation ennuyeuse de plus.

C'est une proposition d'organisation pour vous prouver nos bonnes intentions. Si bien sûr cela ne vous dérange pas ? “ Tente de rattraper Annaëlle en s'avançant vers Ace.

Non-bien sûr, c'est parfaitement compréhensible. “ Enchaîne Aimie pour donner le change et faire disparaître le malaise.

Nous ne souhaitons pas vous froisser naturellement. “ Compléta le commerçant.

Ne vous en faites pas. Je vais d'ailleurs de ce pas vous montrer les quartiers des visiteurs. Veuillez nous remettre vos armes et me suivre s'il vous plaît.“ Acheva plein de raideur Monsieur Cunningham sans cesser de me fixer.

Je hausse des épaules, indifférente, tends les poings américain ainsi que mon couteau cranté à un homme de la sécurité. Le second de Monsieur Cunningham, un dénommé Drake. Puis j'emboîte le pas à la suite des Humanistes, bientôt suivi par le reste de la troupe.



Partons donc gaiement découvrir le domaine des Humanistes !









“ Mais qu'est-ce qu'il t'a pris Sarrah ? À peine avons nous eu le temps de poser les pieds ici que tu crée presque un incident diplomatique !




"Te rends-tu compte ? Tu as de la chance qu'ils aient laissé passer un tel affront ! Pour qui tu te prends sérieux !

La ferme.

Non. Tu vas m'écouter très attentivement : je prends les choses en main à partir de maintenant. Tu n’adresses plus la parole à aucun Humanistes ni à Monsieur Armande. Tais-toi, je n'ai pas fini : tu restes ici jusqu'à ce qu'on reparte et tu ne bouges pas. Je te jure que si j'entends parler de toi, c'est Big Boss qui se fera un plaisir de te remettre les idées en place. Est ce clair ? “ Tonne Annaëlle en ne cessant de me pointer du doigt et en faisant les cent pas.

Le reste de nos compatriotes nous observent, retenant leur souffle. Je ne cesse de serrer et de desserrer mes poings machinalement. J'affiche un air crâne, de ceux que j'arborais quand j'avais à peine douze ans et que je tenais tête aux éducateurs. Encore du blabla, toujours plus du blabla. N'avais-je pas eu le mérite d'être clair d'entrer de jeu ? De ne pas me parer de toute cette mièvrerie pitoyable et inutile ? Pourtant une partie de moi, celle plus censée, ne pouvait nier l'exactitude des propos de ma compagne. C'était du grand n'importe quoi. Rien que mon attitude lors du voyage n'avait aucun sens. Je n'avais pas d'excuses. Cette escalade dans mon comportement ces dernières semaines se passaient de commentaire. Mon visage s'assombrit.

De colérique, le regard d’Annaëlle se fait soucieux. Une nouvelle fois, elle me redemande si c'est clair et je me contente de hocher de la tête avant de m'enfermer dans un mutisme forcené. On frappe à la porte du dortoir. Aimie Evans passe la tête dans l'entrebâillement et propose au négociateur de l'accompagner pour une visite guidée des lieux. Elle indique également que des rafraîchissements sont disponibles en bas, dans l'immense pièce commune pour les membres de l'escorte. Tous disparaissent avec soulagement, Annaëlle en profite pour se rapprocher de moi :

Essais de te reposer, je t'en pris. Tu as une tête abominable.  “

Je ne lui réponds rien, les yeux perdus dans le vague. Elle soupire et s'en va. Au bout de quelques minutes, je me dirige vers la plus proche fenêtre. Observe l'effervescence des lieux. Admire l'ordre et la propreté. M'étonne des visages insouciants et joyeux des humanistes. Reste ébahis face à la luminosité et au site magnifique qu'ils occupent. Mes larmes finissent par couler sur mes joues. Pas un sanglot ne me secoue pourtant. Ma douleur est immense. Abyssale. Et mon corps ne sait plus comment l'évacuer. L'arrêter. Moi non plus. Au bout d'une demi-heure à rester ainsi, je finis par m'effondrer sur la pierre froide. Incapable de bouger, n'ayant plus de volonté, je reste étendu à même le sol. Je finis par fermer les yeux. Je sombre immédiatement dans des rêves nébuleux et sombres où chaque chose n'est pas ce qu'elle semble être et ou je finis par me noyer. Quand je me réveille, rien ne semble avoir bougé autour de moi. J'ai froid. Les membres engourdis. Personne n'est là. Personne n'est revenu. Une violente nausée me serre les tripes et par je ne sais quel miracle je parvins à me traîner jusqu'aux toilettes. Juste à temps. Lorsque je me sentis mieux, je tentais de me relever. Plusieurs fois sans succès, mais persévérant, je finis par y parvenir. Il y avait une glace dans ces toilettes et le reflet qu'il me renvoyait m’effraya profondément. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même. La panique s'empara de moi.

Non, non, non. Pas encore. Ça ne peut pas recommencer.

Dans un geste ô combien inutile, je me passais plusieurs fois de l'eau sur le visage. Mon reflet resta le même tout comme mon état d'esprit. De l'air. J'étouffe. Mon corps se mouvant de lui-même, je sortis des dortoirs en trombe et avisant un escalier qui semblait mener aux toits, je m'y précipitais. Je pris alors conscience de l'immensité du domaine des Humanistes. C'était proprement époustouflant. À côté de cet endroit, la Citadelle paraissait être un trou à rat de piètres qualités… Tout semblait si serein. M’asseyant au bord du toit, les pieds dans le vide, je ne cessais d'observer durant une heure le lent ballet des habitants du château. Des vieux, des adultes, des jeunes, des enfants… Il y avait de tout. Une société en miniature comme on n'en trouvait plus nul part ailleurs…

Une main se posa sur mon épaule, me faisant sursauter. Des cheveux blonds. Des yeux aigue-marine. Un léger sourire sur les lèvres pour m'avoir surprise. Massial. Un timoré sourire apparut sur mon visage.

Tu te ramollis dis-moi.

Dixit le Responsable du secteur Médicale du Château de Vincennes…” Persiflais-je.

Il haussa des épaules amusé et s’installa à mes côtés. Le silence reprit ses quartiers, mais il n’avait rien de pesant. Il était partagé. Après quelques minutes, je repris la parole. Presque timidement. Presque comme si se trouver là, au calme, ensemble, pour la première fois, me faisait peur. Me faisait craindre que le mirage ne se dissipe et que finalement, il n’y ait personne. Que je sois seule. Encore une fois.

C’est incroyable ce que vous avez construit ici… C’est…” Mon cœur se serre. “Eric. “ Ma voix s’étrangle. “Il … Il aurait aimé faire partie de tout ça.” Nouvelle pause, le temps de reprendre mon souffle. “Tu sais, vous ne vous connaissiez pas depuis longtemps, mais s’il t'avait vu aujourd’hui, qu’il avait vu tout ça, il aurait été fier de toi.

Cette dernière phrase aurait pu signifier tout et rien pour Massial. Pour moi, elle voulait tout dire. Tout transmettre. J’avais été incapable de lui annoncer la mort d’Eric la dernière fois, même si ça c’était deviné. Alors prononcer ces mots était un saut dans l’inconnu.

Prononcer ces quelques mots, c’étaient abaisser une barrière. C’était me dévoiler. Dévoiler à quelqu’un d’autre qui je suis, ce que j’ai été.



C’était un premier pas vers quelqu’un d’autre et ça ne m’était plus arrivé depuis une éternité.




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Massial Jordan
Massial Jordan
Rescapé
Sam 12 Mai - 1:24
Massial Jordan
C’était quelques heures auparavant, la rosée étincelait sur l’herbe moelleuse, nettoyant la poussière des ruines qui recouvrait ses rangers, et l’air matinal qui leur rougissait le visage et les mains était vivifiant. Le calme et le silence du parc était d’une quiétude rare, loin de celui pesant de la ville dévastée. L’atmosphère qui émanait de l’endroit invitait à souffler, prendre une bouffée d’oxygène et de tranquillité, à se relâcher… Ce qu’il ne faisait jamais totalement.

Plus loin, l’imposante silhouette du château – refuge du clan – se découpait à travers les arbres. Fier. Inébranlable. Sous le soleil froid de ce splendide matin de début de printemps, sa vision majestueuse et l’absence d’infectés visibles dégageaient quelque chose d’irréel… donnant l’impression de fouler les terres d’un conte oublié.

Hayden tendit un bras devant lui en s’arrêtant, l’invitant à faire de même, non en signe d’alerte, mais d’attente après un regard en arrière et Massial s’immobilisa, patientant pour ne pas creuser l’écart avec ceux fermant la marche. Tandis que son cousin interpellait l’homme de tête, le blond baissa son keffieh. Les dernières couleurs du lever de soleil s’étaient envolées, laissant un ciel dégagé, d’un bleu délavé. Alors qu’il gonflait ses poumons de l’air limpide du parc, à cet instant, qu’importait la nuit blanche passée à déambuler dans les entrailles de la ville, après une soirée de troc et de revente dans la touffeur des stands, des échanges d’informations en début de nuit auprès de quelques contacts habituels, puis le chemin de retour débuté dans les galeries souterraines aux heures d’encre. Des galeries qu’il valait mieux éviter seul et qui les recrachèrent aux abords du bidonville un peu avant que la voute du ciel ne pâlisse et où ils ramassèrent deux des leurs dans un ultime détour.

Dernière ligne droite. Ils seraient probablement de retour bien avant que sa montre n’affiche les 9h00 fixées pour la réunion visant à faire un dernier point pour… pour quelque chose ne l’enchantant guère. Cette perspective lui arracha une grimace discrète, tandis que Massial s’étirait légèrement sous son sac considérablement allégé, cherchant à dénouer ses épaules et son dos fortement sollicités, dernièrement. Si tout s’articulait bien, peut-être aurait-il même le luxe de s’octroyer une à deux heures de repos avant l’arrivée de leurs… invités.

Les derniers jours n’avaient pas été chômés. Entre le retour récent de la dernière expédition, l’inventaire s’ensuivant, le point rapidement fait avec son équipe, le casse tête représenté par un malade et le troc de la veille. La veille avait sans doute été la dernière sortie notable qu’il ferait de la semaine, avec l’arrivée des visiteurs qui se feraient dans la journée, et qui resteraient sans doute quelques temps.

A moins qu’Hector ne fasse prématurément une démonstration de diplomatie bien à lui.

Idée qui le fit pourtant sourire intérieurement et, lorsque Hayden le dépassa, l’autre jeune homme lui emboita le pas.


_____________________________________________________



Tu ne devrais pas être là.

Le membre du conseil aurait presque pu l’entendre distinctement. Presque. Ça aurait tout à fait été les mots d’un de ses défunts compagnons d’infortune.

Ce n’est pas prudent. Cette femme… aurait pu continuer Eliott. Massial chassa tout ce qu’aurait pu dire Eliott… Car, en réalité, cet ami disparu aurait eu tord. Il n’aurait pas pu être ailleurs, désormais. Plus maintenant que ses yeux s’étaient vissés à celle qu’il reconnaîtrait entre mille.

Au diable cette femme accaparée ailleurs… Cette brune toute de noir vêtue, qui allait entre leurs murs strictement choisis, telle la deuxième ombre du représentant de la Citadelle. Son sujet viendrait bien assez tôt… Plus qu’un visage, c’était une allure, une présence qu’il n’avait su oublier. Innommable, mais presque palpable. Elle… ne semblait pas l’avoir reconnu. Du moins, aucun signe n’avait su la trahir.

Sarrah.

Le besoin de la revoir le brûlait. Prenant. Viscéral.

C’était ainsi, depuis que la boxeuse avait été soustraite à son regard, mais qu’il la savait là. Toute proche. Deux heures… Deux heures que son cœur avait raté un battement en la reconnaissant au milieu des visages de l’escorte ayant passé leurs portes. Deux heures… et déjà ses pas l’avaient poussé à sa recherche, pas loin de posséder leur propre volonté.

Sa main se tendit. Déjà, d’elles-mêmes ses jambes avaient tué cette distance les séparant. Pourtant… Ils n’avaient jamais été très loin ; chacun sachant comment se contacter et où trouver l’autre depuis bien un an, maintenant. La nécessité de ne pas la trahir et de ne pas lui révéler d’attache avait fait l’entier travail, le gardant plus sûrement à l’écart que tout risque personnel aurait su le faire. Pour autant, rien n’empêchait ses yeux de la chercher, chaque fois que sa route le menait dans les profondeurs et l’effervescence de la Citadelle.

Un sursaut lorsqu’il manifesta sa présence, aussi visible que perceptible au toucher. Un sourire de sa part trouvant un timide écho… Et il ne put s’empêcher de la taquiner :

« Tu te ramollis dis-moi. »

Il était rare de la surprendre, il y avait quelques années delà …

« Dixit le Responsable du secteur Médicale du Château de Vincennes… »

Un regard amusé accompagna un haussement d’épaules avant qu’il ne s’asseye sans un mot. Et si, à une époque, leurs pas avaient marché aux mêmes rythmes, que leurs cœurs s’étaient emballés des mêmes peurs, réagis aux mêmes sons et que leurs bouches avaient connu ces mêmes longues heures de silence commun… Côte à côte, ils n’avaient jamais partagé le calme qu’ils goûtaient en cette heure. Toujours alerte, habité d’une tension plus ou moins latente, leur repos n’avait jamais eu cette saveur.

Les minutes qui s’égrenèrent avait ce goût de rareté à savourer, tant et si bien qu’ils regardaient ce que leur position donnait à voir sans rien dire, bien qu’il y ait tant à dire. Eux qui se connaissaient tant et si peu tout à la fois.

Tant de choses lui brûlaient les lèvres.

Cette femme lui avait manqué. Cette réalité le martelait. Son inquiétude allait de paire, l’humaniste l’avait senti sourdre depuis que ses yeux s’étaient posés sur elle, quelques heures plus tôt. Poignante.

Massial ne la dévisagea pas. Il n’en avait nul besoin. Sa mémoire avait parfaitement conservé le nouveau visage qu’il lui avait découvert. Fatigué. Emacié. Alors que ce jour là, ce jour où leurs routes s’étaient recroisées, tout en elle était beau, d’une beauté sauvage et brutale. Aujourd’hui, la boxeuse n’était que l’ombre de ce souvenir.

« C’est incroyable ce que vous avez construit ici… C’est… »

Sans qu’il ne tourne la tête ni le regard dans sa direction, la garde récupéra toutefois l’entière attention de l’ancien solitaire.

« Eric. »

Sa mâchoire se crispa. Il savait mais ne l’interrompit pas. Eric aurait été ici… S’il vivait. Leur dernière rencontre lui avait laissé cette conviction. Les jours suivants n’avaient fait que la consolider. La voix de la jeune femme le blessa, car il connaissait intimement cette émotion qui l’écorchait.

« Il … Il aurait aimé faire partie de tout ça. »

Pour la seconde fois, sa main se posa sur l’épaule de Sarrah et il la serra fort, comme s’il avait pu lui donner de la force, du courage, alléger sa douleur, faire savoir qu’elle était partagée… à sa façon, qu’à cet instant elle n’était pas seule, ou peut-être tout ça mêlé.

« Tu sais, vous ne vous connaissiez pas depuis longtemps, mais s’il t'avait vu aujourd’hui, qu’il avait vu tout ça, il aurait été fier de toi. »

« Merci… ça me touche. »

Malgré lui, sa voix se fit plus basse sur la fin. En dépit de leurs divergences d’opinions, l’attachement et le respect qui s’était développé avait été sincère.

Après une hésitation, son bras s’abaissa et sa paume couvrit brièvement la main de la garde d’un geste qui aurait pu être doux, mais se fit plus dur, plus présent, lorsque ses doigts trouvèrent les siens.

Un court silence. Une légère inspiration.

« J’aurais aimé que ça soit le cas. Qu’il voit. Il avait raison… d’une certaine façon. Il savait que c’était possible… Après tout ce que nous avions vu, fait, vu faire ; Eric y croyait encore… »

Pourtant, nous n’étions pas toujours tendres avec lui.

En dépit des échecs et les dangers lorsqu’ils décidaient de tendre une main, lorsqu’ils s’aventuraient à offrir une chance peu réfléchie, Eric persistait. Il persistait tant qu’un jour – de peur – le blond l’avait collé à un mur. Ce jour là, tout avait failli partir en vrille… De peur car, dans le fiasco de cette journée, Massial avait compris qu’il avait craint de les perdre.

« C’est parce qu’il y a eu des gens qui ce sont battus avec ces mêmes convictions, qu’aujourd’hui… Que d’autres ont pu suivre. »

Lui ne croyait plus en rien à l’époque, plus en rien que le moment présent, que leurs priorités immédiates, les nécessités à leur survie et son objectif… Sa famille. Tout ça. Ce que Sarrah et lui contemplaient aujourd’hui, l’un à côté de l’autre… Il fallait être honnête. Ce n’était pas parti de gens comme lui.

« Il aurait été des premiers membres. Je n’en doute pas une seconde… »

Et ils leur auraient été précieux...

Il en était certain. La place de l’éducateur n’aurait été nulle part ailleurs. Et l'homme se prit à l’imaginer évoluer dans cet endroit qui ne l’avait jamais vu, comme il se perdait parfois douloureusement à y rêver les plus grands absents de sa vie. Un peu comme ces matins, assez récemment, où réveillé il repoussait parfois de quelques – courts – instants le moment d’ouvrir les yeux. Et tant que ces derniers ne se posaient pas sur leur nouvel environnement, il restait cette infime place à l’imagination et à la possibilité que tout ça n’ait été qu’un rêve. La possibilité d’imaginer que quelques minutes plus tard, il se lèverait, qu’en passant devant la salle de bain ça sentirait l’après rasage de son oncle, qu’en bas ça serait l’odeur du café chaud et du pain grillé, que Georges descendrait les escaliers avec la discrétion d’un hippopotame mal luné, la télé en fond sonore ou que quelqu’un allumerait la musique trop fort…

Un pied dans le vide, l’autre sur le rebord du toit, le jeune responsable se tordit les doigts.  

Un vent tiède se leva, leur soufflant ses doigts humides dans le cou et envahissant leurs vêtements. Au loin, derrière la pierre, les arbres dodelinèrent de la tête avec indolence, mêlant leurs bruissements aux rumeurs du clan et ce fut comme si le temps lui-même se mettait en sommeil. Les ocres chauds de la fin d’après-midi adoucissaient tout ce que le regard rencontrait, le soleil lui-même semblait consoler les créatures qu’il abandonnerait tantôt à l’obscurité, ses rayons s’attardant sur leur peau avec une douce chaleur. Comme si… rien n’était grave car, à ce moment, tout allait encore bien. Comme si…

« Que s’est-il passé ? » demanda-t-il à mi-voix, troublant le silence s’insinuant à nouveau entre eux.

Sa tête se tourna partiellement en direction de la jeune femme, un regard de côté se posant sur elle.
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Sarrah
Sarrah
Survivant
Sam 7 Juil - 23:17
Sarrah

ft. Massial Jordan

ft. Sarrah

「 Viens. 」



« C’est parce qu’il y a eu des gens qui se sont battus avec ces mêmes convictions, qu’aujourd’hui… Que d’autres ont pu suivre. »



Cela me fit mal. Ces quelques mots prononcés. Ils me firent mal. Me rappelant combien moi-même, je n’y avais pas cru. Combien mon égoïsme avait été grand. Tout ce qui avait importé, c’était la survie d’Eric. Rien d’autre. Ses projets, ses convictions avaient été mis au second plan sur la fin de notre périple. À l’arrière-plan. Une partie de moi aurait voulu que ce qui faisait d’Eric quelqu’un de profondément humaniste disparaisse. Totalement. En ces temps-là, ce n’était qu’un poids. Un danger pour lui-même. Je baissais les yeux autant de fatalisme que de culpabilité : c’était cruel et dangereux. Enlever ce qui fait de quelqu’un ce qu’il est revient à le tuer. Tout simplement. Je m’en rendais compte maintenant.

La main de Massial sera plus vigoureusement la mienne et la chaleur de ce contact éloigna quelque peu mes pensées sombres. J’observais quelques instants sans mot dire nos deux mains liées, ne sachant trop quoi penser. Nos existences s’étaient entremêlées d’une manière étrange sans plus réussir à se démêler. À chacune de nos précédentes rencontres, l’envie de les retrouver s'était faite plus vivace. De le retrouver. Lui. Levant timidement le nez, je me pris à l’observer à la dérobée. Contemplant son profil, gravant les détails de ses traits dans ma mémoire. Son visage aquilin et décidé était tourné vers l’horizon, perdu dans ses pensées, perdu au loin dans ce paysage superbe et paisible. Le soleil embrasait le ciel de couleurs toutes plus spectaculaires les unes que les autres. L’embrassait, lui, d’une lumière quasi-mystique. Le calme et la stabilité que je percevais chez lui soulignaient combien le temps passé l’avait changé. Offrant finalement le reste de mon visage aux derniers rayons de l’astre, je fermais les yeux, savourant cet instant.

La brise se leva alors, nos mains se séparèrent une nouvelle fois et vint le temps des questions. Gardant les yeux fermés, je pesais mes mots. Tant de réponses possibles, tant de sentiers qui pouvaient être empruntés. Que dire, ne pas dire, laisser supposer, insinuer ? Quel était le sujet de cette question : Eric, moi, un peu de tout ? Je fronçais des sourcils, indécise. Le plus clair du temps, c’était moi qui posais les questions et non le contraire. Le silence se prolongea quelques instants avant que finalement, les mots ne se déversent en torrent.

Les bombardements. Ils nous ont séparé de vous et puis quelques instants plus tard le bâtiment s'est effondré. J’étais devant, de quelques mètres. Ça a suffi. Je me suis retournée et il était... Il était là. Le buste dépassant à peine des gravats. Les yeux déjà un peu vitreux. Je me suis précipitée, ai tenté de le dégager avant de simplement le serrer dans mes bras. Et puis… Il est mort. Et je ne sais plus ce que j’ai fait. Le trou noir.

Le souffle vint à me manquer tout comme l’élan qui me portait. Je restais silencieuse plusieurs minutes, n’osant pas ouvrir les yeux. N’osant pas croiser le regard de Massial. N’osant pas de peur que la douleur ne reprenne le dessus. Que je m’effondre. Rien ne pouvait plus changer ce qu’il s’était passé. Eric n’était plus. Voilà tout. Et pourtant, la douleur restait. S’infectait.

Je me souviens juste que… Que j’ai émergé au milieu d’une nuée de zombies. J’allais me faire tuer et les derniers mots d’Eric me sont revenu en mémoire. Tel un coup-de-poing me vrillant les entrailles. J’ai réagi, me suis battue et enfuis. Quelque temps plus tard, alors que j’étais prise à partie dans une rixe avec des survivants, j’ai croisé la route d’un ponte de la Citadelle. Du chef de la sécurité. Il a observé le combat qui se déroulait sans que je n’aie conscience de sa présence. J’ai survécu. Ils sont morts. J’allais reprendre ma route à travers les ruines quand il a surgi de son promontoire, entouré de son escorte. Me tenant en joue, j’ai cru que c’était fini. Tu sais, cet homme, c’est une montagne. La première fois que tu le vois, la première fois que son regard croise le tien, tu ne peux t'empêcher de baisser les yeux. Je ne sais pas où j’ai eu les couilles, mais j’ai tenu. Je n’ai pas cillé. Je n’ai pas fui. Je l’ai aussi fixé. Et il a fini par sourire. Un sourire éclatant."

Nouvelle pause. Non d’hésitation, mais tel un fantôme revenant me hanter, je revois ce moment. Je le revis. Devine l’ébauche de visages familiers dans le ballet des nuages rougeâtres. Le temps passé, le chemin parcouru me séparant de cet instant me surprend alors. Tout va si vite. Finalement si vite.

Il m’a proposé de les rejoindre. De faire partie d’une place sûre. D’en devenir un rouage. De stabiliser ce que j’étais. Il m’a dit qu’il aurait besoin de quelqu’un comme moi. De mes compétences. Il souriait toujours. Mais il ne m’était pas adressé. Ça n’a d’ailleurs pas changé.” Ricanement rauque. “ J’ai accepté. Je me suis laissée portée. J’en avais aussi besoin. Besoin d’avoir d’autres à mes côtés. De simplement savoir que je n’étais pas seule. De combler le vide laissé par votre absence à tous.

Silence douloureux. Hésitation marquée. Je me racle la gorge. M’ébouriffe les cheveux, gênée.

Je vous ai cherché au début. Mes errances n’avaient qu’un but : retrouver votre trace dans ce champ de ruines. De retrouver là où était tombé Eric. Mais je n’y suis pas parvenue. J’ai abandonné, mis de côté. Le fait d’entrer dans la Citadelle m’a fourni un beau prétexte : celui de ne plus avoir le temps. Il fallait que j’y fasse ma place, que je me trouve des marques, que je m’intègre bon grès, malgré. Je vous ai relégué dans un petit coin de ma tête et j’ai avancé. À la force de mes poings, j’ai creusé mon trou. Gravis doucement les échelons. Jusqu’à ce que je tombe sur toi.

Un cri dans la cour m'offre une pause bienvenue. Tout ceci me met mal à l'aise. Un tel déballage ne m'est que rarement arrivé. Je sens le regard de mon interlocuteur sur moi, mais je ne me retourne pas vers lui. N'est ce pas étrange ? Je me sens plus vulnérable qu'un nouveau-né… Une partie de moi me souffle de partir, de me taire. Avalant ma salive, je lutte contre cette petite voix.

Quand je t'ai vu, en vie, tout a été remis en question. Petit à petit, j'en suis venue à me demander ce que je faisais là. Ce que je faisais à la Citadelle. Ce que je faisais chez les gardes. Si c'était vraiment ce que je voulais…” Je tourne alors ma tête vers Massial, vrillant mes yeux dans les siens. “Toutes ces horreurs, tous ces morts, tous ces complots, ces faux-semblants me fatiguent. Je ne suis qu'un pion sur l'échiquier d'un jeu cruel et dont l'issue est très incertaine. Sais-tu à quel point, c'est rageant de continuer à suivre un homme qui pourrait se débarrasser de toi pour plus de pouvoir ? Sais-tu à quel point, il est rageant que pour la même raison, tu ne puisses changer de route, car elle pourrait signifier la mort ou la fuite perpétuelle ?” Ma voix se brise sous le flot de ma colère. “ J'en ai plus qu'assez de répéter toujours les mêmes erreurs. De me retrouver engluer dans des milieux malsains. De toujours plus me salir les mains.” Mon ton ne cesse de monter, mes bras s’agitent comme si je commençais un combat. “Et tu sais le pire du pire ? C’est que je ne suis pas foutue de prendre en main ma vie. Non, stop. Tais-toi. Tais-toi. Ne dis rien.” D’un geste impérieux, je pose un doigt sur sa bouche, lui qui s'apprêtait à dire quelque chose. Je reprends d’une voix plus calme, mais plus sombre. “ Le pire du pire, c’est moi. A toujours tout fuir. Fuir les autres, fuir les responsabilités, les décisions. À tout remettre à demain on ne fait plus rien. Je ne fais plus rien, depuis longtemps maintenant. Je ne fais plus rien parce que je n’ai plus rien à faire.” Ma voix devient murmure. “ Pas de rêves, pas de buts. Le seul que j’avais a disparu. J’ai échoué. Oui, échoué.

Je me tais enfin. Si vide. Exsangue de tous mes propos et des émotions qui leur sont liés. Surprise aussi. Effrayée, complètement. Mais, bien vite, une pensée me vient. Tout ce que j’ai pu dire est vrai. Je le perçois comme étant vraie. Pourquoi en avoir peur alors ?

C'est ainsi que ma tête se redresse et c’est avec une lueur de défis dans le regard et dans ma posture que je lui lance agressivement :



“La dernière fois que l’on s'est vu, tu ne semblais pas avoir trouvé ta place dans cette bergerie. Qu’est-ce qu’y a changé ? Qu’est-ce qui a fait que tu sois devenu un membre du Conseil des couches culottes et des biberons ?“




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Massial Jordan
Massial Jordan
Rescapé
Jeu 26 Juil - 22:13
Massial Jordan
Dans un premier temps, seul le mutisme de la boxeuse répondit à la question ouverte qui planait, puis les mots sortirent.

Les bombardements… Le souvenir de leur séparation lui revint et sous le récit de sa partenaire de l’époque, la scène ou quelque chose y ressemblant prit forme dans son esprit. Il se mordit la lèvre, ne la touchant pas – cette fois – lorsque la voix de la jeune femme montra de nouveaux signes de faiblesse. Ne la regardant pas. Le silence s’imposa de nouveau. Lourd. Il ne reprit pas tout de suite la parole, sentant quelque part qu’elle n’en avait pas terminé. Dans les minutes qui s’égrenèrent, ses souvenirs retournèrent vers cet homme, s’égarant sur des chemins lui étant plus ou moins liés, de près comme de très loin, avec ou sans lien direct…

« Que s’est-il passé pour toi ensuite ? »

« Je me souviens juste que… […] »

La question n’avait rien de pressante, mais les mots ressortirent et il plongea à sa suite dans le récit qu’elle lui fit des évènements. Une main glacée lui remonta l’échine, le faisant frissonner malgré lui, lorsqu’elle évoqua la mort frôlée de peu. La suite des évènements se déroula à travers les mots de son… son… amie – ? – et son visage se ferma, ses yeux se baissant sur la cour, mais toute son attention resta focalisée sur elle. Ses doigts craquèrent. Une colère sourde et lointaine s’aviva doucement. Ces hommes qui avaient menacé la vie de Sarrah étaient morts… il y avait longtemps, maintenant. Inspirant, l’humaniste refoula ce sentiment si prompt à remonter, maitrisé, mais continuellement à sa porte, entretenu par les dernières années.

Parce que c’est toi… se retint-il de dire.

Avec ses cinquante cinq kilos environ – moins désormais, à ses yeux, elle avait toujours eu plus de couilles que la plupart des gens auquel il avait eu affaire, que bien des types. Cet homme l’avait sans aucun doute perçu lui aussi. La suite du récit le lui confirma.

« […] J’ai accepté. Je me suis laissée portée. J’en avais aussi besoin. Besoin d’avoir d’autres à mes côtés. De simplement savoir que je n’étais pas seule. De combler le vide laissé par votre absence à tous. »

La douleur palpable de la garde l’empêcha de croiser son regard. Il n’y pouvait rien. Ils avaient attendu, était revenu brièvement sur ses pas, attendu encore un peu plus. Même après, il avait tenté de leur laisser des pistes. Longtemps. Il avait fait sa part. Malgré ça, il ne parvint pas à écarter totalement le sentiment de honte. Quelque chose – intransigeante – voulait lui souffler qu’il aurait dû être là. Qu’il aurait dû savoir les retrouver.

« […] Je vous ai cherché au début. […] »

Quand ? Combien de temps s’était-il passé après la mort d’Eric ? Combien de temps avait duré ce passage occulté par la mémoire de la jeune femme ? Ce trou noir. Des jours ? Des semaines ? … Plus ? A cette époque… lui-même, pensait-il encore qu’il y avait un espoir que Sarrah et Eric les rejoignent un jour ou avait-il cessé ?

La suite, Massial n’avait aucun mal à l’imaginer. Le prétexte, une raison, une bouée, n’importe quoi pour se laisser happer, s’empêcher de réfléchir, de ressasser, de sombrer. Il n’avait aucun mal non plus à l’imaginer se battre pour prendre ce qu’elle désirait. Les bois dont ils étaient fait n’étaient pas très différents. Ils étaient de ceux qui vont chercher les choses. De ceux qui n’attendent pas de subir.

Un cri dans la cour. Et entre eux un nouveau silence. En bas, Hector vient d’interpeller un de ses gars. Le calme retombe. Sarrah reprend.

« Quand je t'ai vu, en vie, tout a été remis en question. Petit à petit, j'en suis venue à me demander ce que je faisais là. Ce que je faisais à la Citadelle. Ce que je faisais chez les gardes. Si c'était vraiment ce que je voulais… »

Ainsi, ils en passaient tous par ces questionnements, un jour où l’autre… La seule façon pour rester maitre de ses décisions. Sans troubler la parole de la garde, muet, ses poings se serrèrent.

« Sais-tu à quel point, c'est rageant de continuer à suivre un homme qui pourrait se débarrasser de toi pour plus de pouvoir? Sais-tu à quel point, il est rageant que pour la même raison, tu ne puisses changer de route, car elle pourrait signifier la mort ou la fuite perpétuelle ? »

Non, je ne sais pas.

Non, il ne savait pas. Ce qui avait pu y ressembler lors de mauvaises rencontres étaient à une autre échelle. Infimes en comparaison, des situations à désamorcer avant de s’y empêtrer totalement, avant de laisser quelqu’un d’autre étendre une emprise… Ce qu’il savait en revanche, c’était l’origine de cette boule haineuse en formation. Cette sensation de brûlure irradiant au creux des tripes et redescendant difficilement. Celle qui l’avait fait plier plus d’un type, sans forcément de distinction de gabarits, à l’adolescence déjà. Sauf qu’il n’y avait personne à plier, sur ce toit. Le jeune homme blond se concentra sur sa respiration pour l'étouffer… Tenir l’inspiration… Tenir l’expiration. Une chose très à l’opposée de son ancienne partenaire de galère se démenant face à ses démons, leur donnant une consistance presque physique en s’agitant contre eux, au gré de ses paroles, de sa colère.

« T… »

Ses lèvres se scellèrent aux mots et sous l’index se posant sur elles en lui intimant de se taire.

C’est faux !

Non, ils ne se connaissaient pas comme les gens d’avant se connaissaient, mais cette conviction était là, profondément plantée. Il l’avait vu se battre pour avancer. Elle était capable de… Son raisonnement s’éteignit avec la voix de la combattante et ses traits s’assombrir.

Lui-même où aurait-il été, s’il n’avait pas toujours eu quelqu’un pour qui se battre ? Sans quelqu’un pour qui se relever ? Pour qui vouloir mieux… Elle se tut et les lèvres de l’homme blond restèrent closes.

C’est elle qui rompit à nouveau le silence. Hargneuse et provocante. Les renvoyant près d’une année plus tôt… Si près et si loin, tout à la fois.

« La dernière fois que l’on s'est vu, tu ne semblais pas avoir trouvé ta place dans cette bergerie. Qu’est-ce qu’y a changé ? Qu’est-ce qui a fait que tu sois devenu un membre du Conseil des couches culottes et des biberons ? »

« Je l’étais déjà, à ce moment là. »

Aussi surprenant que ça puisse paraître, c’était bel et bien le cas.

« Je… »

Courte pause sans détourner le regard. Non. Les mots qu’il s’apprêtait à lancer à la volée, sans contexte, ne résumeraient rien de la réalité, ne la reflèteraient pas telle qu’elle avait été.

« Nous étions à bout de souffle quand nous avons décidé de les rejoindre. » Non, ce n’était pas assez loin… Ce n’était pas ça. Ce n’était pas le début de l’histoire. Sarrah l’avait fait, elle. Tout dire. Sans voile. Il le lui devait.

Son regard se perdit vers les autres toits alors qu’il rouvrait la bouche et la referme sans un mot.

Pas comme ça.

Secouant mentalement la tête avant de s’asseoir en tailleur, il se tourna vers elle, puis la regarda en face.

« Ceux que je cherchais à rejoindre, en vous proposant de faire de même, je les ai retrouvé. A vrai dire, c’est un membre de ma famille qui m’a retrouvé très peu de temps après les bombardements qui nous ont séparés. Il était venu à notre rencontre. Ils n’étaient pas très loin. » Son regard ne la lâcha pas. « On vous a attendu. Je ne voulais pas repartir sans vous. Puis on a dû bouger… On vous a laissé une piste. De planque en planque, mais je ne saurais plus te dire pendant combien de temps. »

L’humaniste se tut brièvement. Il s’égarait. Ce n’était pas la question…

Mais je voulais que tu le saches…

Ses yeux se baissèrent inconsciemment avant qu’il ne les darde à nouveau à l’azur leur faisant face, mais il lui sembla que sa voix dérailla sur les premiers mots :

« Dans l’année, nous avons perdu Jimmy... Mon oncle, l’homme – que j’avais régulièrement en appel, le soir – qui m’a élevé avec ses fils, Georges et Hayden… Pertes, séparations… petit à petit n’est plus resté que ces derniers, Calypso, sa mère et moi. »

Il secoua négativement la tête après l’évocation de la mère de l’adolescente et à l’expression de la jeune femme.

« Elle n’était pas immunisée. J’ai dû faire ce qu’il fallait… Nous avons traversé plusieurs groupuscules, les alternant pour diverses raisons – trop passifs, trop belliqueux, trop dangereux… – aux phases en solitaires. L’un d’eux nous a retenus plus longtemps. Là-bas, nous nous sommes liés à d’autres et nous sommes repartis avec ces gens là. Je crois pouvoir dire sans prétention qu’on se débrouillait bien ensemble. » D’un geste vague, ce fut comme s’il chassait le détail de cette période pour se rapprocher de l’essentiel ensuite. « Lorsque Georges est… »

Silence.

Ce n’était qu’un mot. Un mot qu’Andrej l’avait forcé à prononcer, à réaliser, sur lequel le blond s’était emporté, mais sur lequel il butait encore. Ce n’était pourtant pas dans ses traits de caractère de s’illusionner, mais sans corps… A l’époque, il s’était accroché à cet espoir comme à une bouée de sauvetage.

« … Mort » reprit-il dans un filet de voix. « Lorsqu’il a été mordu, puis qu’il a disparu, je suis parti en vrille. Je l’ai cherché encore et encore… Et encore. Directement, indirectement, sous couvert de tout et n’importe quoi,  tout prétexte était bon à prendre. Et quand nous avons perdu un autre gars plusieurs mois plus tard… Un ami. Que j’ai dû abattre, j’ai… Ça et ça, ce n’était plus en phase. Comme si un fusible avait sauté et qu’il n’y avait plus que ça aux commandes. »

Après avoir désigné successivement cœur, puis tête et à nouveau cette même tête, ses épaules se soulevèrent légèrement marquant son impuissance à trouver les mots justes. Massial ne trouva qu’une comparaison hasardeuse :

« Une frappe en rafale avec le même point d’impact. La zone s’engourdit. Désensibilisation. On en sort de plus en plus sonné, mais on ne perçoit plus réellement la douleur. Ni elle. Ni le reste. J’étais complètement anesthésié émotionnellement. Tout était atténué ou altéré. »

J’étais mort aussi, d’une certaine façon. Avec eux.

Malgré tout, il avait gardé le cap.

Il se tut, avalant sa salive. Livrer une histoire, des faits, des erreurs était une chose, dévoiler… plus… en était une autre. Encore plus inconfortable. Son regard avait quitté son interlocutrice et ses doigts triturèrent malgré lui sa semelle usée. Une putain de machine, c’était comme ça qu’il se sentait à l’époque et… encore un peu parfois, et déjà un peu également même avant de perdre Georges.

Trop de choses remontaient. Une vague culpabilité aussi envers Hayden qui aurait tant souhaité qu’il se livre davantage, à cette période. Seulement, c’était face à Sarrah qu’il venait de poser les mots. Se mordant la joue, Massial inspira avant de reprendre, mais ses yeux ne se relevèrent pas vers la boxeuse.

« Lorsque j’ai commencé à refaire surface, nous étions au bout du rouleau. Je ne reconnaissais plus Hayden. Il était éteint. Nous n’étions guère mieux. L’un des nôtres avait la cheville en vrac. J’avais l’impression qu’on allait dans le mur. On a pris l’option Humaniste. On avait besoin de souffler. Ça faisait plusieurs années qu’on les soutenait. On s’est laissé une chance. J’avais promis au frère d’Hayden qu’on quitterait Paris. Inconsciemment, je pense qu’on a tous vu ça davantage comme une transition. Au bout d’une semaine, j’étais convaincu qu’on repartirait, qu’en les aidant on attendrait simplement que la cheville d’Andrej se remette totalement. Il y avait un décalage entre eux et nous, mais on ne le vivait pas mal… puisqu’on ne le voyait plus que comme du temporaire. »

La réponse à ta question arrive.

Relevant deux orbes bleus nuit vers elle, l’ancien solitaire la dévisagea, sa voix gagnant une fermeté soudaine.

« Seulement Hayden s’est mis à revivre auprès d’eux. Et j’avais quoi de mieux à leur proposer dans l’immédiat ? Quel avenir ? J’ai reconsidéré les choses. J’ai accepté l’éventualité que ça puisse être avec ce clan que ça se passerait, désormais et qu’on allait prendre ce qu’on pouvait prendre, que ça soit le cas ou non. Quoiqu’on aurait fait ensuite, j’avais besoin qu’il se reconstruise. Calypso a littéralement rejeté le Lycée Voltaire et ses occupants, les autres sont repartis, mais j’ai tout fait pour qu’on reste. Je le croyais. »

La suite était sans doute assez ironique. Cette place dont il avait hérité avait également été une tour de contrôle inespérée pour avoir une vision globale des rouages. Peut-être qu’inconsciemment, il avait fait en sorte d’y accéder… d’accéder au conseil comme on se fraye un chemin jusqu’à un instrument.

« Ce qui a changé ? C’est précisément ce qui s’est passé ce jour là. Cette femme est morte ; parce que je ne me suis pas donné les armes ; parce que je ne la connaissais pas ; parce qu’elle n’était pas de mon clan. Elle l’était, mais je n’avais pas assimilé ça. Je refusais de les voir ainsi. Je ne voulais rien savoir d’eux, individuellement parlant. Ne plus apprendre à connaître quelqu’un. Je ne comprenais pas l’aversion et l’hostilité de Calypso. Je me suis rendu compte que… c’était normal. C’est moi qui ne laissait pas de place aux autres entre nous, comme si on ne pouvait encore compter que sur nous-mêmes. Je refusais qu’elle se relâche. Elle ne pouvait pas se permettre d’accepter des gens sur qui nous pourrions tirer une croix à tout moment. Ce n’est pas ça qui a fait la force du groupe que nous avions formé précédemment. »

Le jeune membre du conseil des humanistes haussa les épaules.

« Alors quand nous-sommes rentrés… J’ai passé la nuit seul – y avait ce putain de miroir de merde – et j’ai décidé que le lendemain matin j’aurais tranché, si je comptais vraiment nous laisser une chance de rester, si j’étais prêt à morfler et à me battre vraiment pour eux aussi. Comme aux débuts, avec la même hargne qu’avant, et si ça merdait… Est-ce que je serais capable de me retourner et de dire que j’avais « vraiment » fait tout ce que je pouvais pour que ça marche ou si, dés lors… »

D’un geste de la main, il fit mine de tout balayer sans ménagement.

La clef de tout, c’était d’essayer d’être franc avec soi-même. Elle aussi s’était posée cette question. Ce qu’elle voulait.

« Aide-moi. » Il s’agissait des premiers mots qu’il avait adressé à l’ancien chef de la sécurité en quittant ce vestiaire, le lendemain, à l’aube. Les résultats n’étaient toujours pas parfaits… mais ils avaient le mérite d’exister.

« Ce qui a changé, c’est que c’est à ça que je veux que ressemble la vie de ceux qui comptent pour moi et que je le sais, maintenant. Je veux qu’ils aient un avenir, des projets. Une vie… Il y aura bien un après, non… ? »

Son regard se reporta sur la cour et un couple d’adolescents la traversant.
La Citadelle… La Meute… Les Elitistes… Aucun de ces modèles ne le séduisait. La Citadelle aurait pu être une voie de passage. Ils s’adaptaient vite. Ils s’adaptaient bien, mais qu’offrait-elle sur la durée ? Ce n’est pas ce qu’il voulait laisser, pas là qu’il voulait les savoir, si un jour il devait y passer.

Je veux leur laisser une chance.

Une chance de vivre, après la survie. Ça ne serait pas demain la veille, mais si c’était possible, alors…

« Je veux qu’il ressemble à ça… » murmura-t-il. « Il pourrait. »

A un lieu où un moment de faiblesse ne vaudrait pas de passer d’une vie confortable à crever la gueule ouverte, alors que cinquante personnes se pressent dans la même galerie, que le droit de becter une demi-portion ne se règle pas à coups de beignes ou qu’une soit disant protection ne se résume pas à de l’esclavage.

Qu’il y ait un endroit où des gens comme Jimmy, comme Eric, comme Eliott, comme le docteur Léandre… auraient eu une place. Où ils auraient pu rester un peu ce qu’ils étaient. Rien qu’un peu. Un endroit où je peux entendre Hayden rire parfois, où des gens comme Aimie, Alice, Malo ou Doll peuvent continuer de vivre. Où Calypso et d’autres mômes pourront connaitre des bribes, de la chance que nous avions.

Certes… Sa socialité avait souffert. Malgré ces mots qu’il pensait, il demeurait un côté sauvage, parfois brusque, qui ne se gommait pas et il était bien le premier à renouer avec les ruines… S’enivrer de la sensation de liberté et de l’éloignement qu’elles lui offraient, mais jamais il ne voulait qu’elles redeviennent leur unique perspective. Jim n’aurait jamais voulu ça pour eux.

« Viens. »

Silence. Leur regard resta un instant tourné vers ce qui absorbait leur contemplation et leurs pensées, puis il sentit celui de Sarrah se déplacer et il la regarda de nouveau, ancrant ses yeux aux siens.

Qu’avait-il d’autre à lui offrir ? Des mots ? Du vent ? De creuses banalités ? Au diable tout ça. Et même au delà des humanistes...

« Viens avec moi. »
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Sarrah
Sarrah
Survivant
Lun 1 Oct - 22:23
Sarrah

ft. Massial Jordan

ft. Sarrah

「 Viens. 」



“ Viens. “



L'intonation dans la voix de Massial me poussa à me retourner vers lui.

Dans un calme irréel, nos regards s'ancrent l'un à l'autre. Dans ce calme irréel, les paroles qu'il vient de prononcer trouvent un écho en moi.

Alors que mes yeux s'agrandissent de surprise, le vent se remet à souffler. Les rires cristallins d'enfants montent jusqu'à nous et la douce odeur d'un plat cuisiné me titille l'estomac. Je continue de le fixer sans mot dire.


“ Viens avec moi.”









"Je l’étais déjà, à ce moment-là."



J’encaisse. Sans mot dire. S’il me l’avait dit à l’époque, je n’y aurais pas cru. Je lui aurais rit au nez sans comprendre. Comme je l’avais fait lorsqu’il avait annoncé son appartenance aux Humanistes. De but en blanc, sans prendre de gants. Il n’avait même pas cillé. Aujourd’hui, tout se répétait. Ses yeux d’un bleu sombre ne voulaient pas me lâcher alors qu’il prononçait ces quelques paroles.

Pourtant, quelque chose clochait dans ce qu’il me disait : lors de notre précédente rencontre, le sort de ses compatriotes ne semblait pas le préoccuper. Les cris de la femme Humaniste aux prises avec les infectés me revint en mémoire. Massial n’avait pas levé le petit doigt. Nous avions juste poursuivi notre course dans ce brouillard horrifique sans jeter un regard derrière nous. Ca ne collait pas à l’image que l’on pouvait se faire d’un ponte des Humanistes.

Toute à mes pensées, il poursuit, trébuche dans ses dires, se reprend et replonge dans ces souvenirs. Mes traits se plissent au fur et à mesure qu’il commence à se livrer, percevant les fêlures sous-jacentes aussi profondes que peuvent être les miennes. La carapace, l’armure entourant et contrôlant son être se fissure sous mes yeux. Commence à révéler ce qui se cache en dessous.


"On vous a attendu.

Je soutiens son regard plein de franchise perlé d’un soupçon de culpabilité. Je n’avais pas besoin d’en savoir plus. Pas besoin qu’il en dise plus. Pas besoin qu’il se justifie. Je comprenais. Nous avions tous deux tenté. C’était là le principal. Qui atténuait un peu la peine, la crainte et la solitude ressenties à ce moment-là. Étrange sentiment que de se savoir attendus… J’espérais qu’il le sente. Qu’il sente qu’il n’avait pas à culpabiliser. Que c’était juste du passé.


Avancer. Toujours avancer. Pour ne pas mourir, pour ne pas croupir.







Mes yeux ne le lâchent plus.



Que veut-il dire ? Que veut-il signifier ?

Viens.

Vis.

Étrange comme les mots peuvent vous transpercer.

Le vent me chatouille le visage, alors que je me sens engourdie. Les pieds dans le vide, l'abîme dans laquelle je chute n’est pourtant pas celui-ci.


Mon abîme est d’un bleu roi. Un bleu d’écume les jours de tempête.







Ils avaient donc connu de nouveau l'errance, le hasard des rencontres et le malheur des pertes.



Pauvre petiote. Au moins, avait-elle pu revoir sa mère avant la fin… Mais était ce vraiment mieux ?

"Elle n’était pas immunisée. J’ai dû faire ce qu’il fallait…

Je hochais simplement de la tête. Massial avait toujours fait ce qu'il fallait. Il le ferait encore longtemps. Son pragmatisme et sa capacité à prendre des décisions difficiles, mais nécessaires, avaient sans doute sauvé plus d'une fois ses proches. Sans pour autant éviter le poids des souvenirs, le poids de ceux qui restent.

Vint alors le point d'orgue de son récit : la mort de ce Georges. L'homme blond bute sur le mot. Ce mot que j'ai tant de mal à prononcer encore aujourd'hui dans le cas d'Éric. Ses yeux brillent, son visage tourmenté tourné vers le lointain, ses phalanges blanchies sous l'émotion qui lui déchire le cœur. Le mien tempête tout autant, emporté par les tourbillons de sentiments déjà ressentis.

D'instinct, je lui prends sa main la plus proche dans la mienne. Parce que je comprends. Parce que je l'ai déjà vécu. Parce que je le vis encore. Je sais combien cela est difficile. Un contact comme ancre, pour ne pas se laisser dériver. Pour rester implanter dans cette réalité, ensemble.

J’étais complètement anesthésié émotionnellement. Tout était atténué ou altéré.

Je hochais de la tête, pensive. Tout comme moi, il avait connu quelque chose de similaire, mais il n’en avait pas perdu la mémoire…

Un frisson me vint. Une éternité plus tôt, lorsqu’on m’avait retrouvé à demi-morte dans les banlieues de Paris, âme errante sans but et identité, je m’étais réveillée dans un hôpital inconnu. Sans comprendre pourquoi, sans savoir comment j’étais arrivée là. Les médecins, les psychologues avaient tenté de comprendre mon état, ce qui avait bien pu se tramer dans ma tête, mais devant mon mutisme avaient abandonné. Aujourd’hui, plus que jamais, je craignais que ça soit plus grave que ce que j’avais pensé. Les crises d’angoisse, les hallucinations, les insomnies, les apathies, les périodes de black-out, tous ces signes étaient des symptômes. Personne ne traversait de tels troubles, de telles crises. Personne. De nouveau, j’étais au bord du gouffre. Mon corps hurlait, mon esprit hurlait. Comme si j’avais atteint un point de rupture. Comme si tout allait recommencer. Comme si ce qui se tramait dans ma tête attendait quelque chose. Que je tombe. Que je chute de mon fil d'Ariane.

Mes yeux devaient traduire mon trouble, mais Massial ne me fixait pas. Lui-même faisait face à ses propres démons, ses questionnements. Jamais je ne l’avais vu aussi expressif, autant porté par les émotions qui le traversaient. Ses traits se crispaient, se décrispaient, ses gestes se voulaient calme, mais leur brusquerie me rappelait un peu la mienne. D’habitude si maître de lui-même, je voyais devant moi ce qu’il était vraiment : un homme, jeune, dont les circonstances et les pertes l’avaient forcé à grandir, à se durcir en mettant de côté sa propre sensibilité. Il n’était pas né ainsi. Quelle vie avait-il eu avant l’épidémie ? Que faisait-il ? Qui était-il ? Autant de questions qui me traversaient l’esprit. Une seule me brûlait les lèvres : depuis quand contenait-il ce trop-plein d’émotions lié à son passé ? Lui, qui était si entouré, semblait pourtant ne pas se confier à grand monde…

Mais qui étais-je pour penser ça ? Transcrire en mots ce que nous ressentons étaient quelque chose de si difficile… Une perte de temps. Pourtant… Pourtant, parfois, il le fallait. Sans doute. Eric utilisait souvent ce mot. Extérioriser. Un bien beau mot de bobo gaucho. Pour digérer des événements difficiles, il fallait extérioriser. Poser les mots. Raconter. Sans ça, la rancœur s’envenimait, la tristesse s'intensifiait, la peur s’infiltrait. Des années plus tard, je ne pouvais plus le contredire, faire la moue ou craner. C’était vrai. Foutrement vrai. Peut-être même que mon état empirait à cause de ça… Je ne voulais pas que Massial finisse comme moi. Des personnes l’aimaient, s’inquiétaient. Il n’était pas seul. D’autant plus avec toutes ses responsabilités au sein de son clan. Lui, il construisait un avenir. Il faisait avancer tout un groupe. Plus seulement lui-même.

" Seulement Hayden s’est mis à revivre auprès d’eux.


Un ton sans équivoque. Une expression dure sur le visage. Nous y voilà…







La lumière rougeoie dans le lointain.



Tout ça semble irréel.

Les secondes s’égrènent lentement.

Mes pensées, mes plans pour le futur, mes interrogations, tout virevolte dans mon crâne.

Ses yeux ne me lâchent pas. M’observent. Me décortiquent. Interprètent.

Les miens y perçoivent une attente, une espérance même ?

Comment ? Est-ce que ça serait accepté ? Par son clan ? Que se passerait-il ? Combien de temps ? Quelles conséquences pour moi ? Pour lui ?

Des images fusent de mon imagination, toutes plus irréalistes les unes que les autres.

Je suis partagée.

Entre espoir et défaitisme.


Et plus je le regarde et plus je…







Je n’avais aucun mal à croire que Calypso ait rechigné à rester chez les Humanistes.



Ils devaient lui paraître bien faiblards pour faire face au nouveau monde… Mon interlocuteur poursuivait, ses yeux dans les miens, avec dans la voix une colère mal rentrée. Comme s’il voulait me convaincre, me faire comprendre ses choix. Il n’en avait pas besoin. Il avait fait un choix. Visiblement le bon : ses proches étaient toujours là, le clan était florissant. Il avait fait un choix. Je respectais ça. Silencieuse, soutenant son regard, j’écoutais le reste de sa tirade, attendant qu’il dévoile enfin le fond de sa réponse, le fond de sa pensée. Son récit atteignait son paroxysme, ses yeux brillaient de combativité, de rage.

Alors quand nous sommes rentrés… J’ai passé la nuit seul – y avait ce putain de miroir de merde – et j’ai décidé que le lendemain matin, j’aurais tranché, si je comptais vraiment nous laisser une chance de rester, si j’étais prêt à morfler et à me battre vraiment pour eux aussi. Comme aux débuts, avec la même hargne qu’avant, et si ça merdait… Est-ce que je serais capable de me retourner et de dire que j’avais « vraiment » fait tout ce que je pouvais pour que ça marche ou si, dès lors… "

Mes traits se figèrent.

"Ce qui a changé, c’est que c’est à ça que je veux que ressemble la vie de ceux qui comptent pour moi et que je le sais, maintenant. Je veux qu’ils aient un avenir, des projets. Une vie… Il y aura bien un après, non… ? »

Je ne savais pas quoi dire. Un rictus agita mon visage : je n’avais rien à dire. Il n’avait pas besoin de mon assentiment. Il avait juste besoin de poser les mots, de se convaincre lui-même qu’il n’avait rien à regretter. Qu’il avait bien fait. Pour lui, pour ses proches. Finalement, sa remise en question de son fonctionnement n’était qu’une adaptation d’une posture qu’il avait déjà. Celle du protecteur. Ils avaient changé d’environnement. D’un imprévisible, il était passé à un lieu qui l’était plus. Sécurisé, organisé. Où les rencontres pacifiques étaient possibles. Tant qu’ils étaient au sein de leur forteresse, la mort avait moins de chance de frapper violemment. Pas de pièges, de risque de tomber sur les mauvaises personnes au mauvais moment, de se retrouver coincé dans une impasse ou sous un bâtiment en ruine. Il n’était plus utile de se méfier de tout un chacun, de ne pas créer de liens. S’ils avaient continué à se comporter comme à leur arrivée, ils seraient partis un jour ou l’autre. Massial, se tiendrait-il alors devant moi ? Ou aurait-il disparu dans un recoin obscur de Paris, sans laisser de traces ? Tout était possible. Un curieux vertige me vint à cette idée. Tout était possible. Et finalement, tout ne tenait qu’à bien peu de chose : une décision pouvait tout changer.

Sa remise en question, son pari avaient été salvateurs. Il était là. Ici, avec moi. Sur ce toit avec cette vue ridiculement belle. De nouveau, il regardait l’horizon et je retrouvais l’homme à la carrure de leader que j’avais rencontré en arrivant ici. Compétent, calme et analytique. Nul part ailleurs, il n’aurait pu devenir ainsi.

Le Massial de notre première rencontre était toujours là, sous la surface lisse, ainsi que tous ceux qu’il avait pu être avant l’épidémie. Il avait simplement avancé pour survivre. Il était toujours lui, sans fards, sans fioritures et d’une certaine manière ça me rassurait. Bien qu’au fil des ans nous changeons, ce que nous étions survit toujours en nous. Il était temps que ne me voile plus la face sur ma vie. Il était temps que j’emprunte une autre direction que celle que j’avais prise.

Peut-être qu’au cours de ces quelques jours passés ici j’aurais le temps de réfléchir à tout ça… D’établir un plan.


" Je veux qu’il ressemble à ça… "







“ Viens avec moi.”



Une simple phrase.

À peine quelques mots.

Prononcés d’une voix décidée.

Déclic.

Je me meus.

Mon esprit assiste.

Une envie dévorante prend corps.

Les yeux bleu nuit me fixent toujours.

Mon visage se rapproche.

Ma main, presque comme une caresse, lui effleure le menton.

Mes lèvres rencontrent les siennes.

Se posent sur elles.

Timidement, brutalement.

Le temps s’arrête.

Plus rien ne compte en cet instant.

Plus rien ne compte.

Brusquement, je retrouve mes esprits.

Brusquement, je m’éloigne, mes doigts effleurant ma bouche.

Brusquement, je me rends compte de ce qu’il vient de se passer.



“Oh, bordel de merde.”



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